Femmes solidaires est un mouvement féministe d’éducation populaire implantée dans 190 territoires, villes, quartiers et zones rurales traversés par des réalités diverses. Nous avons lancé une campagne il y a quelques jours intitulée #GénérationNonSexiste pour aller à la rencontre des festivaliers et participant.e.s aux fêtes de villes et de villages. A cet effet, nous souhaitons donner sans ambigüité notre position quant à la venue du rappeur Niska à la fête d’Ivry (94) le samedi 16 juin, suite aux différentes déclarations et prises de parole des derniers jours et notamment des déclarations de la municipalité.
Nous souhaitons tout d’abord remettre au centre du débat les propos sexistes et violents des chansons du chanteur Niska qui semblent aujourd’hui passer au second plan. On nous dit qu’il plait à la jeunesse et que ce seul fait justifie qu’on le programme. Un grand service public de la culture doit avoir d’autres ambitions. Rappelons ces paroles que nous rejetons :
« Elle a mal aux reins quand je la démonte
Quand je la monte en l’air... » (…)
« C’est moi qui fait l’oseille,
Pétasse, fais le ménage. Ramasse ! »
« Ma femme c’est ma princesse, ma Naomi
Campbell. Y’a pas d’égalité, on frappe à la pelle »
ou encore…
« Il y a tous les vautours en bas de la tour Et dans l’escalier c’est chacun son tour Copine rentre dans le bloc On te fera du X et non pas l’amour », « Les filles égarées se prennent pour Madonna Faut les enfermer à coup de cadenas »
Les actions de notre association pour déconstruire les rapports de domination sexistes incluent aussi bien un accompagnement de femmes victimes de violences que des actions de prévention auprès des adolescent.e.s et des adultes. Partout, et auprès de tous et toutes, nous maintenons la même exigence de respect des droits des femmes. Nous ne nous taisons pas plus en banlieue que dans les quartiers d’affaires ou les bars branchés. Le sexisme persiste dans tous les domaines de la société, et nous le combattrons partout. Sans complaisance pour qui que ce soit.
Nous avons manifesté notre opposition aux concerts de Bertrand Cantat et à une rétrospective concernant Woody Allen à Paris et avons attaqué en justice Orelsan… À chaque fois que les auteurs de violences sexistes, y compris verbales, sont programmés, on banalise davantage les violences faites aux femmes. Et nos militantes retournent dans les classes expliquer que non, une femme victime d’un viol ne l’a pas « cherché ». Les violences faites aux femmes ne sont pas des faits divers, ils s’inscrivent dans un continuum qui commence par accepter les propos sexistes et finit par légitimer les pires crimes.
La création urbaine, dans toutes ses composantes, n’a pas plus de légitimité à être sexiste que toute autre expression artistique. Il nous a été opposé dans la presse que « la création française » regorge d’exemples de cette nature, c’est oublier un peu vite que la banlieue n’est pas moins française que le reste des territoires de notre pays. Les lois de la République s’y appliquent et la liberté d’expression en droit français est restreinte en matière de propos racistes mais aussi sexistes. Faudrait-il fermer les yeux, et murmurer avec condescendance que la violence est inévitable lorsque l’on est en « banlieue » ?
Nos militantes, nos associations sont implantées dans de nombreux quartiers sensibles où nous travaillons à la déconstruction de ce discours préjudiciable aux femmes et aux jeunes filles qui y vivent. Ce n’est pas pour nous y conformer aujourd’hui.
Il est vrai que la variété n’est pas plus irréprochable que le rap et que beaucoup de chansons sont à dénoncer dans les décennies passées. Mais voulons-nous vivre en nous référant à des titres d’il y a trente ans ou en espérant des normes sociétales plus émancipatrices pour l’avenir ? Les chansons de Niska sont contemporaines et elles sont chantées en ce moment. Nous les regardons avec les yeux du présent.
Nous n’appelons pas à la déprogrammation du concert Niska à Ivry-sur-seine, mais proposons juste une réflexion universaliste sur les droits des femmes.
Enfin, il est préoccupant de marquer notre désaccord contre ces violences comme un risque d’encouragement à troubler l’ordre public. On a, de tout temps, tenté de faire pression sur les femmes qui résistent au patriarcat en les accusant de bouleverser dangereusement l’ordre établi. Mais nous continuerons pour notre part, à nous opposer pacifiquement à toutes les manifestations de la culture du viol et des violences.
#NiNiskaNiCantat, nous voulons des #GénérationsNonSexistes.
Paris, le 12 juin 2018