Femmes solidaires est une association féministe universaliste constituée de 190
antennes et comités sur le territoire national. Nous accompagnons des femmes
en situation de violence, indépendamment de leur statut national.
Le 22 avril dernier, l’Assemblée nationale a voté la loi « pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif ». Cette loi sera examinée prochainement au Sénat. Si nous saluons l’engagement des député.e.s progressistes de plusieurs partis qui ont proposé des amendements pour protéger les personnes bénéficiant d’une protection subsidiaire ou d’un statut d’asile, la loi contient des mesures qui détériorent les droits des femmes.
L’article 6 prévoit ainsi que le délai de recours passe d’1 mois à 15 jours en cas de rejet d’une demande par l’OFPRA. Les personnes qui déposent une demande d’asile, de statut de réfugiée ou de protection subsidiaire ont subi des violences profondément traumatisantes qui les ont contraintes, pour survivre, à partir. Les premiers entretiens sont intimidants et la parole s’y libère difficilement. La plupart des femmes que nous accompagnons dans ces procédures obtiennent en recours le statut qui leur avait été initialement refusé. Diviser de moitié le délai de recours, c’est réduire considérablement la possibilité pour les personnes victimes de réussir à témoigner des violences qu’elles ont subies. À quelle fin ?
L’article 9 prévoit la répartition géographique imposée des personnes bénéficiant de l’asile en fonction de quotas régionaux. Les associations qui accompagnent les personnes concernées s’inscrivent dans un processus de longue durée sur la sortie des violences et la reconnaissance du statut de réfugiée ou de la demande d’asile. Un déménagement après l’obtention du titre déconstruit immédiatement ce travail d’accompagnement qui doit être recommencé par d’autres associations (lorsqu’elles existent et sont en capacité de le faire) sur le nouveau lieu d’hébergement.
L’article 16 allonge la durée de rétention maximale à 90 jours, soit 3 mois, y compris pour des enfants en dépit de multiples condamnations de la France par la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) pour la détention de mineur.e.s.
Cette loi interroge profondément notre capacité à préserver les valeurs qui ont écrit les grandes pages de notre histoire et présidé à l’écriture de nos textes fondateurs et de notre constitution. Il est toujours plus facile de fermer sa porte que de l’ouvrir, toujours plus rassurant de rester chez soi que de s’exposer à autrui. Lorsque l’on doit partir, risquer sa vie pour avoir une chance de la préserver, on porte en soi l’espoir d’un ailleurs, une terre d’accueil… Ce que notre pays a souvent été pour le meilleur.
À ce titre, l’inscription dans la loi du délit de solidarité a fait l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité déposée le 9 mai dernier et qui vise à déterminer s’il est compatible avec la devise républicaine de fraternité. Pour notre part, nous avons tranché : si être solidaire est un délit, alors nous sommes toutes des délinquantes.
On peut toujours envisager les déplacements humains comme des phénomènes comptables, un rapport sur investissements. On ne peut ouvrir nos frontières que lorsque l’on a besoin de main-d’oeuvre à bon marché – comme le fait l’Allemagne – ou de cerveaux – comme le prévoient les articles 20 et 21 de la loi qui facilitent l’entrée et le maintien en France d’étudiant.e.s, de chercheurs et chercheuses ou de personnes pouvant « contribuer au rayonnement de la France ».
Mais nous pouvons aussi décider de faire preuve de plus d’ambition et tâcher de construire ensemble, une société où la protection de nos droits et libertés fondamentales n’est pas inférieure à notre droit à vivre en sécurité, et ce indépendamment des chemins que nous avons dû prendre pour être en France hier ou aujourd’hui. En réalité, une société plus juste, plus égalitaire, plus…sororale.
Paris, le 11 mai 2018